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IN TWO V, “Horizons liquides”, Les Ateliers Vortex, Dijon, 2024

19/01/2024 >> 10/02/2024

Exposition en duo avec Louis Simonnet, sur une invitation des Ateliers Vortex, dans le cadre du cycle d’expositions IN TWO.

In Two V, Horizons liquides, 2024
Vue d’ensemble

En passant (détail), 2022
Poylpropylène issu de déchets
industriels, acrylique

En passant (détail), 2022
Polypropylène issu de déchets
industriels, acrylique

In Two V, Horizons liquides, 2024
Vue d’ensemble

Macadam tripode, 2023
Matériel de chantier, chaîne fantaisie, acrylique

In Two V, Horizons liquides, 2024
Vue d’ensemble

Instinct grégaire, 2022
Polypropylène issu de déchets
industriels, acrylique

In Two V, Horizons liquides, 2024
Vue d’ensemble

Diavolina, 2023
Argile, acrylique, fragments de bijoux trouvés, chevilles

Pemphrédo, 2022
Sacs poubelles

In Two V, Horizons liquides, 2024
Vue d’ensemble

Extractions liquides (détail), 2022
Polypropylène issu de déchets
industriels, acrylique

Cric, crac, bzzz…, 2023
Ballon de basket, cruche en faïence,
fils d’écouteurs

Instinct grégaire, 2022
Polypropylène issu de déchets
industriels, acrylique

Crédits photographiques : Pauline Rosen-Cros / Les Ateliers Vortex, 2024

Tentatives de sauvetage
Texte de Claire Kueny
Décembre 2023

TENTATIVES DE SAUVETAGE

« On ne peut naturellement déplorer que ce qui manque, ce qui a disparu – et dont nous est parvenu un quelconque vestige, un signe, parfois à peine plus qu’une rumeur, une trace à moitié effacée, les répercussions d’un écho ».

Judith Schalansky, Inventaire de choses perdues, Ypsilon Éditeur, Paris, 2023, p. 17.

Emilie Soumba et Louis Simonnet sont tous·tes deux diplôméƏs de l’Isba de Besançon, la première en juin 2022, le second l’année d’après. Leur travail ne s’était pas rencontré dans les espaces de l’école. Pourtant, il y a un effet d’évidence dans le dialogue proposé par les deux artistes aux Ateliers Vortex, affirmant par là, le propre même de l’évidence, à savoir qu’elle est le fruit d’un travail, d’une recherche, d’une construction.

L’exposition devient ainsi le lieu où se révèlent les lignes partagées du travail de chacunƏ, autour du geste de glaner dans le réel, ce qui n’a pas, peu ou plus de valeur, aux yeux des individus, des entreprises, de la société ; du souci de la valorisation de ces choses (par la peinture, par la couleur, par l’ornementation, par le soin et l’attention qui leur sont accordés,…) ; de la fabrique de paysages.

Comme un préambule, la juxtaposition d’une peinture de Louis Simonnet et d’une sculpture d’Emilie Soumba, en bas des escaliers qui conduisent à l’espace d’exposition, énonce ce qui les rassemble et ce qui les distingue. Elle pose également la proposition, joueuse, des deux artistes qui ont choisi, le temps de l’exposition, de créer des complémentarités entre leurs oeuvres : la sculpture de la série En passant (2022) d’Emilie Soumba pouvant presque s’insérer ou être issue des espaces de la toile présents en réserve dans le feuillage de l’arbre peint par Louis Simonnet, Sureau (2023). Les médiums de prédilection de chaque artiste y sont également annoncés.

Mais si ce premier point de vue nous confronte, de près, à un paysage arboré et à un corps organico-artificiel, l’exposition ouvre des horizons plus vastes, entre ciel et mer, où les corps se sont, pour l’essentiel, éloignés ou absentés.

Entre ciel et mer

Une toile de parapente tombée du ciel prend des allures de canoé dégonflé.

Posée au sol, cette toile fuchsia teinte l’espace de l’exposition, réfléchit ses lumières, organise sa circulation, ménage des points de vue, pose le décor.

L’exposition en effet semble composer un paysage où s’affirment, distinctement, dans les toiles de Louis Simonnet, des représentations d’étendues lointaines, de mers, de cieux, que les sculptures d’Emilie Soumba réfléchissent et prolongent, parce qu’elles s’y trouvent associées.

Ainsi, face à la peinture Horizon (2023) représentant la lune sur toile bleue, les reliefs de la sculpture ronde en polypropylène de la série des Extractions liquides (2022) se transforment en cratères, et les couleurs noire, argentée et bleue nuit se révèlent cosmiques. De même, devant la bâche bleue du Rêve d’été (2023), Instinct grégaire (2022) prend les allures d’un banc de poissons en mouvement. Il s’agit pourtant de purges de machines industrielles de production de contenants en plastique, aux formes aléatoires, que l’artiste a récupérées puis repeintes, choisissant des couleurs vives et contrastées, bleu, jaune, rose, non imitatives, qui maintiennent, jusque dans leurs titres, l’ambiguïté de leur provenance, de leur forme et de leur destination. Une des forces du travail d’Emilie Soumba réside d’ailleurs dans la dimension suggestive et métamorphique de ses oeuvres. Il ne s’agit donc pas de déterminer ou d’imposer un sens de lecture à ses sculptures. Et pourtant, ici, les paysages maritimes et célestes, comme les images potentielles de lune et de poissons qui planent et flottent dans l’espace, renforcent l’intention qui préside au travail des deux artistes : présenter, en plein naufrage, leurs tentatives de sauvetage des choses perdues.

Choses perdues

Les deux artistes partagent en effet un souci profond pour les rebuts de la société : ces objets et matières perduƏs, oubliéƏs, souvent rejetéƏs ou sur le point d’être jetéƏs, déclasséƏs, sur lesquelles on aurait même jamais porté un regard, parfois encore tombéƏs du ciel.

Il en est ainsi de l’ensemble des toiles utilisées par Louis Simonnet comme supports à ses peintures : de la toile de parasol recouverte de lichens au fil des saisons passées en extérieur, qui donne lieu à Horizon (2023) ; de la toile de lin utilisée pour éteindre un départ de feu dans un champ (Feux, 2023) : de la toile de parapente, utilisée, comme un ready-made, pour refléter l’espace en fuchsia (Nova, 2023) ; des toiles achetées en seconde main, des bâches, utilisées pour peindre… Chaque fois, les formats, textures, couleurs et histoires de ces fonds engagent la teneur des gestes, plus ou moins discrets, que propose le peintre sur la toile. Parfois, ces gestes consistent simplement à enchâsser la toile, à la tendre, à la détendre. D’autres fois à y peindre une figure, une lune, un nageur,…. affirmant le potentiel pictural du support qui, par ce simple ajout, devient mer ou ciel nocturne. Parfois, c’est le titre seulement, qui nous rappelle l’origine du support. D’autres fois encore, l’artiste recouvre la toile, en prenant soin de laisser quelques réserves, quelques espaces vierges, devenant des lieux de projection pour l’imagination. Souvent, ces ajouts et réserves perturbent les illusions de profondeurs avec laquelle jouent le peintre et la peinture. Souvent, ces ajouts et réserves jouent sur le sens de lecture du travail, comme avec Feux, sur laquelle Louis Simonnet a superposé à la suie, des empreintes de confettis, collées puis décollées de la toile, pour évoquer la nature duale du feu, à la fois festive, chaleureuse, et dangereuse et dévastatrice.

Devant ce feu, de sécheresse et d’artifice, se trouve Macadam Tripode (2023) d’Emilie Soumba : barrière de chantier éventrée, à la peau noire et à la chair rouge, agrémentée d’autres objets en plastiques et de bijoux, trouvés par l’artiste sur le chemin entre son atelier et son domicile. Cette pièce, comme l’ensemble des sculptures et reliefs de l’artiste, témoigne de l’attention qu’elle prête aux objets déchus et abandonnés dans l’espace urbain. Confrontant et assemblant les restes abimés aux souvenirs perdus, Emilie Soumba ornemente ses pièces et y apporte une certaine familiarité qui nous permet de nous en rapprocher, physiquement et émotionnellement.

Tentatives de sauvetage

Derrière le parapente échoué, Cric, crac, bzz,… (2023) reste, comme une amphore, un vestige archéologique venu d’un temps et d’un espace lointains, d’une civilisation passée. Il s’agit pourtant de l’assemblage d’un ballon de basket, d’une cruche en faïence et de câbles d’écouteurs trouvés, eux aussi, sur le chemin quotidien de l’artiste. Archéologie de notre époque, il flotte dans l’espace, témoignant d’une présence humaine absentée. En regard, le nageur, dans l’immensité bleue du Rêve d’été, lève le bras, nageant le crawl ou appelant à l’aide, rappelant que la mer, si elle est un lieu de plaisir pour les unƏs, est celui de la fuite et de la tragédie pour d’autres.

À l’heure où la loi immigration vient d’être votée, les tentatives de sauvetage métaphoriques et sensibles que mènent Emilie Soumba et Louis Simonnet m’apparaissent comme un écho à l’urgence à déployer, à l’échelle de la France, de l’Europe, dans les rues, en pleine mer, auprès de celles et de ceux que notre société rejette et abandonne.

Claire Kueny, décembre 2023